
Contrairement à une idée reçue, la clé de l’art contemporain n’est pas de déchiffrer un message caché, mais d’accepter l’œuvre comme une question qui vous est posée sur le monde.
- L’art contemporain valorise l’idée (le « protocole » de l’artiste) plus que l’objet fini.
- Des installations aux performances, les artistes explorent de nouveaux médiums pour créer des expériences plutôt que des objets de contemplation.
Recommandation : Abordez votre prochaine visite de musée non pas en vous demandant « qu’est-ce que ça veut dire ? », mais plutôt « qu’est-ce que ça me fait ressentir ou penser ? ».
Cette sensation vous est familière ? Vous sortez d’une exposition d’art contemporain avec un sentiment confus, un mélange de perplexité et d’agacement. Face à une toile monochrome, une vidéo énigmatique ou un tas d’objets du quotidien, la même question revient en boucle : « C’est une blague ? ». Les phrases toutes faites comme « mon neveu de 5 ans pourrait faire la même chose » ou « c’est juste pour la spéculation financière » ne sont jamais loin. Rassurez-vous, vous n’êtes ni le premier, ni le seul à ressentir ce décalage. Ce sentiment d’exclusion face à l’art de notre propre époque est une expérience largement partagée.
Le réflexe commun est de chercher une beauté ou une virtuosité technique que l’on ne trouve pas, ou de se sentir mis au défi par une œuvre qui semble hermétique. On attend de l’art qu’il nous plaise, qu’il nous émeuve de manière immédiate, comme le ferait un tableau impressionniste ou une sculpture de la Renaissance. Or, l’art contemporain fonctionne souvent sur un autre registre. Il ne cherche pas toujours à plaire, mais à interroger, à perturber nos habitudes de perception, à commenter le monde dans lequel nous vivons avec les outils et les idées d’aujourd’hui.
Et si le problème ne venait pas des œuvres elles-mêmes, mais de la « grille de lecture » que nous utilisons pour les aborder ? Si, au lieu de chercher une réponse, on apprenait à apprécier la question ? Cet article a été conçu comme un médiateur. Il ne vous donnera pas un avis sur ce qui est « bon » ou « mauvais », mais il vous fournira les clés de compréhension essentielles. Nous allons délimiter le terrain, décoder ensemble les « règles du jeu » que se fixent les artistes, et vous donner des repères concrets pour naviguer avec plus d’aisance et de plaisir dans la foisonnante création actuelle, en nous concentrant particulièrement sur la scène française.
Pour ceux qui préfèrent une approche synthétique et chronologique, la vidéo suivante, animée par le critique d’art Philippe Piguet, offre un excellent résumé des grands courants qui ont façonné l’art depuis les années 1960. C’est un complément parfait pour visualiser les repères historiques que nous allons aborder.
Pour vous guider dans cette exploration, nous avons structuré ce guide en plusieurs étapes clés. Chaque section est conçue pour répondre à une interrogation précise et vous armer d’un nouvel outil de compréhension avant de passer à la suivante.
Sommaire : Votre boussole pour naviguer dans l’art d’aujourd’hui
- Art moderne ou contemporain ? Le détail qui change tout pour ne plus jamais les confondre
- L’idée avant l’objet : la clé pour comprendre 90% de l’art contemporain
- Pourquoi les artistes ne peignent-ils plus ? Plongée dans l’univers des installations et des performances
- L’art contemporain est-il une bulle financière ? Le cas des artistes stars et du marché de l’art
- Oubliez les requins dans le formol : 5 artistes contemporains qui vont vous faire changer d’avis
- Moins, c’est plus ? Le minimalisme et l’art conceptuel pour ceux qui pensent qu’il n’y a rien à voir
- Le coup de génie de l’urinoir : comment Marcel Duchamp a réinventé les règles de l’art
- Bienvenue dans le chaos : le guide pour s’orienter dans la jungle de l’art contemporain
Art moderne ou contemporain ? Le détail qui change tout pour ne plus jamais les confondre
Avant toute chose, mettons-nous d’accord sur les termes. La confusion entre « art moderne » et « art contemporain » est la première source de malentendu. On a tendance à utiliser « moderne » pour ce qui est récent, mais en histoire de l’art, les choses sont plus précises. La définition la plus simple est chronologique : « L’art contemporain, c’est d’abord une question historique. Selon cette approche, la période contemporaine commencerait à partir de 1945, avec la fin de la Seconde Guerre mondiale », nous dit l’encyclopédie. L’art moderne, lui, couvre la période allant grosso modo de la fin du 19e siècle (avec l’Impressionnisme) à 1945. Mais cette simple date cache un changement de paradigme bien plus profond.
Pour le rendre visible, une simple balade à Paris suffit. Chaque musée incarne une époque et une vision de l’art. Le Musée d’Orsay, avec son architecture de gare Belle Époque, abrite les modernes (Monet, Van Gogh) : des artistes qui cassaient les codes de la peinture académique, mais travaillaient encore majoritairement sur la toile. Le Centre Pompidou, avec sa structure extravertie, fait le pont : il montre la fin de l’art moderne et le début du contemporain, où l’art commence à sortir du cadre. Enfin, le Palais de Tokyo, espace brut et modulable, est le temple de l’art le plus actuel, celui qui est en train de se faire. Cette progression architecturale n’est pas un hasard : elle raconte comment l’art est passé de l’objet à l’expérience.

Comprendre cette distinction est crucial. L’art moderne, c’est encore l’histoire d’une recherche sur la forme, la couleur, la lumière. L’art contemporain, lui, intègre une dimension supplémentaire : l’idée, le concept, le contexte. Il ne s’agit plus seulement de « bien peindre », mais de « bien penser » l’œuvre. C’est un univers qui, loin d’être anecdotique, a généré un marché globalisant 1,89 milliard de dollars entre 2023 et 2024, démontrant sa place centrale dans la culture actuelle. Ne pas le confondre avec l’art moderne est la première étape pour y entrer.
L’idée avant l’objet : la clé pour comprendre 90% de l’art contemporain
Si vous ne deviez retenir qu’une seule chose de ce guide, ce serait celle-ci. Le grand basculement de l’art contemporain est résumé par une formule simple : l’idée prime sur la réalisation matérielle. C’est ce que l’on appelle l’art conceptuel, un courant dont l’influence est si vaste qu’il irrigue la quasi-totalité de la création actuelle. Comme le résume la théorie, « l’idée qui sous-tend une œuvre est aussi ou plus importante que l’œuvre elle-même. On parle d’art conceptuel lorsque le concept prime sur l’objet ». Cela signifie que l’intérêt de l’œuvre ne réside pas dans sa beauté, sa préciosité ou la virtuosité de sa fabrication, mais dans le processus intellectuel qui l’a fait naître.
Pour le dire autrement, l’artiste se fixe une « règle du jeu », un protocole de création. L’œuvre n’est que le résultat, parfois presque anecdotique, de l’application de cette règle. Le véritable art, c’est le protocole lui-même. Vous ne regardez plus une peinture, vous regardez la trace d’une idée. Cette approche déroute car elle demande au spectateur un petit effort : non pas de « juger » l’objet, mais de « comprendre » le point de départ de l’artiste. Quelle était son intention ? Quelle règle a-t-il suivie ?
Étude de cas : « Prenez soin de vous » de Sophie Calle
En 2007, l’artiste française Sophie Calle reçoit un e-mail de rupture se terminant par la phrase « Prenez soin de vous ». Ne sachant comment répondre, elle décide de prendre la consigne au pied de la lettre. Son protocole est le suivant : elle demande à 107 femmes, choisies pour leur métier (une avocate, une psychanalyste, une danseuse, une cantatrice…), d’interpréter cette lettre. L’œuvre finale, présentée à la Biennale de Venise puis à la Bibliothèque Nationale de France, est l’ensemble de ces interprétations : des textes, des photos, des vidéos. Comme le souligne la documentation de son travail, l’art n’est pas la lettre de rupture elle-même, mais l’expérience multiple et collective générée par le protocole. L’émotion naît de la mise en commun de ces analyses, pas de l’objet initial.
Cet exemple illustre parfaitement le déplacement. L’œuvre n’est plus un objet unique et sacré, mais un processus, une expérience, une enquête. En tant que spectateur, votre rôle change : vous n’êtes plus un simple contemplateur, mais un partenaire. Vous êtes invité à reconstituer le cheminement de l’artiste, à participer intellectuellement à la « règle du jeu ». C’est là que réside le plaisir, non dans une admiration passive, mais dans une participation active.
Pourquoi les artistes ne peignent-ils plus ? Plongée dans l’univers des installations et des performances
La question est provocatrice, car bien sûr, de nombreux artistes contemporains continuent de peindre. Cependant, il est indéniable que la peinture a perdu son monopole. Si l’idée est plus importante que l’objet, alors n’importe quel médium peut devenir un outil pour l’exprimer. Comme le souligne une analyse du Centre Pompidou, « la peinture n’est pas morte, elle a juste perdu son monopole comme médium de l’expression artistique ». Le corps, le son, la lumière, l’espace d’exposition, des objets trouvés… tout peut devenir matière à art.
C’est ainsi que sont nées deux formes majeures de l’art contemporain : l’installation et la performance.
Une installation est une œuvre qui prend en compte l’espace dans lequel elle est exposée. L’artiste ne crée pas un objet à accrocher au mur, il transforme la pièce entière en œuvre. Le spectateur ne regarde pas l’œuvre, il entre dedans, il la parcourt. L’expérience physique et sensorielle devient une composante essentielle.
Une performance, quant à elle, est une action menée par l’artiste (ou d’autres personnes) devant un public. L’œuvre est éphémère, elle n’existe que dans le temps de sa réalisation. Ce qui reste, c’est le souvenir, la photographie ou la vidéo qui la documente. C’est l’art comme événement, pas comme objet.
Étude de cas : « Les Deux Plateaux » de Daniel Buren
L’exemple le plus célèbre en France est sans doute « Les Deux Plateaux » (1986), plus connues sous le nom de « colonnes de Buren », dans la cour du Palais-Royal à Paris. Daniel Buren n’a pas placé une sculpture au milieu d’une cour. Il a créé une œuvre qui se confond avec l’architecture et l’usage du lieu. Les 260 colonnes de marbre noir et blanc, de hauteurs différentes, créent un paysage artificiel. L’œuvre n’est pleinement activée que par les visiteurs qui grimpent, s’assoient, se photographient, transformant un monument historique en un terrain de jeu. C’est une véritable « sculpture d’expérience » qui engage le corps et invite à l’interaction.
Des artistes comme ORLAN ont poussé cette logique encore plus loin avec l’Art Charnel, utilisant son propre corps et la chirurgie esthétique comme médium. Elle définit sa démarche ainsi : « L’Art Charnel est un travail d’autoportrait au sens classique, mais avec des moyens technologiques qui sont ceux de son temps. Il oscille entre défiguration et refiguration ». Ici, le corps de l’artiste devient le lieu même de l’œuvre, interrogeant les canons de beauté et l’identité. Ces pratiques, parfois déroutantes, montrent à quel point les artistes contemporains ont élargi le champ des possibles pour trouver la forme la plus juste pour leur propos.
L’art contemporain est-il une bulle financière ? Le cas des artistes stars et du marché de l’art
C’est l’une des critiques les plus récurrentes : l’art contemporain ne serait qu’une affaire de spéculation réservée à une élite fortunée. Les prix records atteints par des œuvres de Jeff Koons ou Damien Hirst dans les ventes aux enchères alimentent cette perception. Il est vrai que le marché de l’art est une réalité économique puissante, et la France y joue un rôle majeur. Avec une progression de +33% de son marché en 2024, l’Hexagone confirme sa place de leader en Europe, attirant galeries et collectionneurs du monde entier, notamment lors de foires comme Paris+ par Art Basel.
Cependant, réduire l’art contemporain à cette seule facette spéculative serait une grave erreur, surtout en France. Notre pays se distingue par un écosystème unique où le soutien public joue un rôle de contrepoids essentiel au marché privé. Cet écosystème vise à soutenir la création en dehors de toute logique de rentabilité immédiate et à rendre l’art accessible à tous.

L’acteur clé de ce système est le FRAC (Fonds Régional d’Art Contemporain). Il en existe un dans chaque région française. Leur mission est double : acheter des œuvres à de jeunes artistes pour constituer des collections publiques, et diffuser ces œuvres sur tout le territoire. Comme le souligne le Ministère de la Culture, les FRAC « jouent un rôle essentiel de soutien à la création en étant souvent les premiers acquéreurs de jeunes artistes ». Avec plus de 600 expositions par an, souvent gratuites, ils sont un formidable outil de démocratisation et un point d’entrée idéal pour découvrir la scène artistique locale, loin du tumulte des maisons de ventes.
Le marché de l’art est donc une réalité complexe : à côté des galeries internationales et des collectionneurs milliardaires, il existe un tissu dense d’institutions, de centres d’art et d’associations qui soutiennent la création pour sa valeur artistique et non sa cote. S’intéresser à l’art contemporain en France, c’est aussi découvrir cette richesse institutionnelle qui le rend bien plus accessible qu’il n’y paraît.
Oubliez les requins dans le formol : 5 artistes contemporains qui vont vous faire changer d’avis
L’art contemporain est souvent résumé à quelques œuvres-chocs qui ont défrayé la chronique, comme le fameux requin de Damien Hirst. Pourtant, la scène actuelle, et notamment française, regorge d’artistes aux démarches passionnantes et bien plus accessibles. Voici une petite sélection (forcément subjective) d’artistes qui pourraient bien vous réconcilier avec la création d’aujourd’hui, car leur travail parle directement de notre monde, de nos villes et de nos vies.
Le premier est sans doute le plus connu du grand public : JR. Cet artiste-photographe transforme l’espace public en « la plus grande galerie d’art du monde ». Son protocole est simple : il photographie des anonymes et colle leurs portraits en format monumental sur les murs des villes, des favelas de Rio aux pyramides du Louvre. Comme le décrit son site officiel, il incarne un art social et participatif qui donne un visage aux invisibles et interroge les notions de communauté et d’identité. Son travail est une porte d’entrée parfaite car il est immédiatement spectaculaire et porteur d’un message humaniste universel.
Dans un registre plus intellectuel mais tout aussi fascinant, Camille Henrot explore les manières dont nous tentons d’organiser la connaissance à l’ère d’Internet. Son œuvre la plus célèbre, « Grosse Fatigue » (2013), qui lui a valu le Lion d’Argent à la Biennale de Venise, est une vidéo vertigineuse qui superpose des fenêtres de navigateur, des images de musées et une voix off tentant de raconter la création de l’univers. Saluée par la critique internationale, elle montre comment l’art contemporain peut se saisir avec brio de nos angoisses et de nos comportements à l’ère numérique, en mêlant anthropologie, philosophie et poésie.
Enfin, Neïl Beloufa, né en 1985, représente une jeune génération qui joue avec les codes de la fiction et de la réalité. Ses installations mêlent souvent sculptures et vidéos, créant des environnements qui ressemblent à des plateaux de tournage de science-fiction low-cost. Il déconstruit la manière dont les images et les récits façonnent nos croyances, avec une approche à la fois précise formellement et pleine d’humour. Son travail nous invite à questionner notre propre rapport à la vérité et à la représentation.
Ces trois exemples, parmi tant d’autres (comme Philippe Parreno et ses expositions comme des organismes vivants ou Laure Prouvost et ses récits immersifs), montrent la diversité et la pertinence de la scène française. Loin des clichés, ces artistes nous parlent de nous.
Moins, c’est plus ? Le minimalisme et l’art conceptuel pour ceux qui pensent qu’il n’y a rien à voir
Parmi les œuvres les plus déroutantes, il y a celles où l’on a l’impression qu’il n’y a « rien à voir » : une toile d’une seule couleur, une forme géométrique simple, quelques néons alignés. Bienvenue dans l’univers de l’art minimal et conceptuel, un courant qui pousse la logique de « l’idée avant l’objet » à son paroxysme. Loin d’être un art du vide, c’est un art de la perception et de la concentration.
L’idée fondamentale est de réduire l’œuvre à ses composantes essentielles (forme, couleur, matière, espace) pour éliminer toute distraction narrative ou émotionnelle. L’artiste ne cherche plus à « raconter » quelque chose, mais à créer une situation qui rend le spectateur conscient de sa propre perception. Que se passe-t-il quand je regarde cette couleur ? Comment cette forme modifie-t-elle l’espace autour de moi ? Comment la lumière se reflète-t-elle sur cette matière ? L’œuvre devient un miroir de notre propre acte de regarder.

En France, une figure majeure de ce mouvement est François Morellet (1926-2016). Son travail est un parfait exemple de « précision ludique ». Fasciné par les systèmes mathématiques, il créait des œuvres basées sur des règles simples et objectives (comme les chiffres du nombre Pi ou un annuaire téléphonique) pour déterminer la disposition de ses formes géométriques ou de ses néons. Comme l’explique la chercheuse Roxane Ilias, il cherchait à « limiter la subjectivité et les choix de l’artiste » en introduisant une part de hasard et de système. Il ne composait pas, il appliquait un protocole. Le résultat est un art qui peut sembler froid au premier abord, mais qui révèle une grande poésie et un humour subtil dans le décalage entre la rigueur du système et la beauté inattendue de la forme produite.
Face à une œuvre minimale, la clé est donc de changer son attente. Ne cherchez pas un sens caché ou une histoire. Concentrez-vous sur l’expérience sensorielle pure. Prenez le temps d’observer les détails : la texture de la surface, les vibrations de la couleur, le jeu de la lumière et de l’ombre, la manière dont l’œuvre dialogue avec l’architecture. C’est un art méditatif, qui nous invite à ralentir et à simplement… voir.
Le coup de génie de l’urinoir : comment Marcel Duchamp a réinventé les règles de l’art
Pour comprendre d’où viennent l’art conceptuel, le minimalisme et finalement toute la création contemporaine, il faut revenir à un geste, un seul, qui a eu lieu il y a plus d’un siècle. En 1917, l’artiste français Marcel Duchamp achète un urinoir en porcelaine, le signe du pseudonyme « R. Mutt », le nomme « Fontaine » et tente de l’exposer dans un salon d’art à New York. C’est la naissance du ready-made.
Ce geste est sans doute le plus important de toute l’histoire de l’art du XXe siècle. Comme l’analyse le Centre Pompidou, c’est Duchamp qui « opère le geste radical transformant, par la seule déclaration de l’artiste, l’objet quotidien manufacturé en œuvre d’art ». Avec le ready-made, la question n’est plus « l’artiste sait-il bien faire ? » mais « ceci est-il de l’art ? ». Duchamp démontre que l’art n’est pas une qualité intrinsèque de l’objet (sa beauté, sa rareté), mais une valeur qui lui est conférée par le contexte (le musée, la galerie) et, surtout, par le choix de l’artiste. L’art devient une affaire de décision, de contexte et de regard.
Cet héritage a été particulièrement fécond en France. Dans les années 1960, un groupe d’artistes comme Yves Klein, Arman, César ou Jean Tinguely forment le Nouveau Réalisme. Leur manifeste prône une « appropriation directe du réel ». Arman accumule des objets, César compresse des voitures, Klein expose le vide… Tous prolongent à leur manière le geste de Duchamp, en s’emparant de fragments du monde moderne (déchets industriels, affiches publicitaires) pour en faire des œuvres d’art. Ils ne représentent pas le monde, ils le présentent.
Aujourd’hui, l’influence de Duchamp est si profonde qu’elle est partout. Chaque fois qu’un artiste utilise un objet non-artistique, qu’il questionne le statut de l’œuvre ou le rôle du musée, il dialogue avec l’ombre de « Fontaine ». La pérennité de son influence est telle que le prix d’art contemporain le plus prestigieux en France, créé en 2000, porte son nom. Le Prix Marcel Duchamp récompense chaque année un artiste français ou résidant en France, confirmant que le « coup de génie de l’urinoir » est encore et toujours le point de départ de la réflexion artistique.
À retenir
- L’art contemporain valorise la démarche intellectuelle de l’artiste (le « concept ») autant, voire plus, que l’objet final.
- Il a élargi le champ des possibles en utilisant de nouveaux médiums comme l’installation, la performance ou le corps pour créer des expériences.
- Comprendre une œuvre contemporaine, c’est souvent comprendre la « règle du jeu » que l’artiste s’est fixée, son protocole de création.
Bienvenue dans le chaos : le guide pour s’orienter dans la jungle de l’art contemporain
Maintenant que vous disposez des principales clés de lecture, il est temps de passer à la pratique. Se lancer dans l’exploration de l’art contemporain peut sembler intimidant face à la multitude de lieux, de noms et de courants. L’abondance même de la création peut donner une impression de chaos. Mais avec quelques repères, il est facile de tracer son propre chemin. L’essentiel est d’accepter de ne pas tout aimer, et de cultiver sa curiosité pour ce qui nous interpelle, nous dérange ou nous amuse.
Le secret est d’y aller pas à pas, de commencer par ce qui est le plus accessible, et de ne jamais hésiter à demander, à lire le petit texte à l’entrée de l’exposition (le « cartel »), ou à participer à une visite guidée. Les médiateurs culturels sont là pour ça ! L’art contemporain est moins une question de savoir que de dialogue. Il ne vous juge pas, il vous invite à formuler vos propres questions sur le monde. La pire erreur serait de rester sur le seuil par peur de ne pas « être à la hauteur ».
Votre plan d’action : 5 étapes pour débuter en art contemporain français
- Établir une frise chronologique mentale : Visitez les trois grands piliers parisiens dans l’ordre : le Musée d’Orsay (pour l’art jusqu’en 1914), le Centre Pompidou (pour le pont moderne-contemporain), et le Palais de Tokyo (pour la création la plus récente).
- Explorer votre région : Repérez le FRAC (Fonds Régional d’Art Contemporain) le plus proche de chez vous. Leurs expositions sont souvent gratuites et mettent en avant des artistes émergents de la scène locale et nationale.
- Pousser la porte des galeries : N’ayez pas peur d’entrer dans les galeries d’art. Elles sont le « premier marché » où les artistes sont lancés. C’est gratuit et sans obligation d’achat. C’est un excellent moyen de voir ce qui se fait en ce moment.
- Suivre les indicateurs de reconnaissance : Pour repérer les artistes qui comptent, surveillez quelques marqueurs : une exposition au Palais de Tokyo, une participation à la Biennale de Venise, ou une nomination au prestigieux Prix Marcel Duchamp.
- Engager le dialogue : Acceptez que votre ressenti est légitime. Une œuvre vous ennuie ? Passez à la suivante. Une autre vous intrigue ? Prenez le temps, lisez le texte, cherchez le nom de l’artiste sur internet. Votre curiosité est le meilleur guide.
Se lancer dans l’art contemporain, c’est accepter de faire un pas vers l’inconnu, avec curiosité et sans préjugés. C’est une aventure intellectuelle et sensible qui, une fois les premières appréhensions passées, se révèle incroyablement enrichissante. Elle nous apprend à regarder le monde différemment, avec plus d’acuité et d’esprit critique.
Maintenant, la balle est dans votre camp. La meilleure façon de se forger son propre goût et de transformer la connaissance en plaisir est de se confronter directement aux œuvres. Alors, quelle sera votre prochaine visite ?
Questions fréquentes sur l’art contemporain
Quelle est la différence entre une galerie d’art et un FRAC ?
Les galeries opèrent sur le « premier marché » : elles découvrent, promeuvent et vendent les œuvres d’artistes émergents ou établis dans un but commercial. Les FRAC (Fonds Régionaux d’Art Contemporain) sont des institutions publiques qui achètent des œuvres pour enrichir les collections régionales, sans logique spéculative. Leur but est de soutenir la création et de la diffuser auprès du plus grand nombre sur leur territoire.
Comment débuter une collection d’art contemporain avec un petit budget ?
Commencez par les œuvres multiples comme les éditions limitées, les sérigraphies, les lithographies ou les photographies. Les foires dédiées à la jeune création (comme le Salon de Montrouge ou Art-o-rama à Marseille) sont aussi d’excellentes opportunités pour acquérir des pièces uniques d’artistes prometteurs à des prix plus accessibles.
Qu’est-ce qui fait la valeur d’un artiste français en art contemporain ?
La cote d’un artiste se construit sur plusieurs facteurs : son parcours académique (les Beaux-Arts de Paris, Le Fresnoy…), la reconnaissance par les institutions (expositions dans des centres d’art, au Palais de Tokyo), le soutien de la critique spécialisée et l’obtention de prix importants, dont le plus prestigieux en France est le Prix Marcel Duchamp.
Existe-t-il des ressources en ligne pour découvrir l’art contemporain français ?
Oui, de nombreuses ressources de qualité sont disponibles. Vous pouvez écouter des podcasts comme « Les Visiteurs du Soir » du Centre Pompidou, lire des magazines en ligne de référence comme Artpress ou AOC, suivre les comptes Instagram des grandes institutions (Palais de Tokyo, FRACs…), ou même suivre les MOOC (cours en ligne gratuits) proposés par le Centre Pompidou sur l’histoire de l’art.